main qui ouvre la gueule de l'ours

“La chasse à l’ours” EN PSYCHOMOTRICITÉ

Témoignage de Marjolaine Baillet, psychomotricienne à l’Institut National des Jeunes Aveugles (Paris)

EN ROUTE POUR « LA CHASSE À L’OURS »

Décembre 2019. “Dans mon sac de psychomotricienne, travaillant dans un service de soin à domicile pour enfant déficient visuel de 0 à 6 ans, il y a toujours un livre, souvent tactile.  Il permet, un moment de la séance, de s’asseoir, autour de l’objet livre, de partager une histoire, éventuellement de travailler les domaines de la motricité fine, de l’exploration tactile, des coordinations bimanuelles, mais aussi un travail autour des représentations, des notions temporelles et spatiales. Pour certains enfants, c’est un moment de plaisir, rassurant, un domaine familier. Pour d’autres au contraire, peu habitués à écouter des histoires, à explorer un livre, cela peut s’avérer plus compliqué. En tous les cas, l’objet livre est utilisé comme un médiateur, contribuant à développer certaines compétences psychomotrices de l’enfant.

La parution de l’album tactile de « La chasse à l’ours » chez LDQR a ouvert d’autres possibles. Avec ce livre, classique de littérature jeunesse, on aborde de multiples notions : de déplacements variés, de succession, de trajet aller et retour; on joue sur des émotions comme la peur, la sécurité, le fait de pouvoir être rassuré… J’ai notamment pu utiliser cet album avec un petit garçon âgé de 4 (appelons le M) malvoyant profond, sur plusieurs séances. M aime beaucoup les livres, les histoires. C’est un domaine qui lui est familier et qui le motive à utiliser ses mains, ses doigts pour des activités fines, des explorations. Ce n’est pas le cas pour d’autres activités de manipulations ou de la vie quotidienne qui peuvent rapidement le mettre en difficulté.

LE TEMPS DE PRÉSENTATION DE L’ALBUM

Nous avons donc commencé par une présentation de l’album. M touche le braille et reconnais quelques lettres en gros caractère noir. La symbolisation des personnages permet de rentrer rapidement dans le récit et très vite M prend plaisir à manipuler les tubes personnages, à s’attribuer des rôles.

METTRE EN RYTHME

Dès le début du récit, j’ai introduit une chanson sur la partie répétitive du livre, «  on part à la chasse à l’ours, on va en prendre un très gros, la vie est belle on a peur de rien » tout en frappant sur ses cuisses, dans ses mains, ou d’autres parties du corps. L’enfant prenait plaisir à retrouver ce refrain, dynamisant, mais aussi se prêtait volontiers à des jeux de rythmes, jusque à varier les cadences en déplacements ou la lourdeur du pas.

ASSOCIER DES EXPÉRIENCES CORPORELLES

Lire l’histoire n’était pas tout, je voulais m’assurer de sa compréhension. Il est vrai que pour les jeunes enfants, les récits en randonnée présentent l’avantage de retrouver des évènements récurrents, rassurant les enfants et facilitant aussi la compréhension. Je voulais savoir si M faisait le lien entre les situations qu’il pouvait avoir vécu , et les évènements présentés dans le livre, si il pouvait associer une expérience sensori motrice aux situations présentées dans le livre.

Nous avons aussi pu profiter de quelques évènements climatiques pour aller patouiller dans la boue, et nous avons eu la chance d’avoir des chutes de neige pour écouter le bruit des pas quand on se déplace. L’idéal aurait été d’aller en forêt, dans des champs et de partir explorer une grotte mais le cadre de la séance a ses limites.

PROPOSER UNE ENTRÉE AUDITIVE

Un autre temps a pu être consacré à l’écoute des sons en lien avec le récit et à les associer aux expériences ; à les mettre en lien aussi avec des expériences vécues. Nous avons aussi pu entendre juste l’histoire contée sur enregistrement.

REPRÉSENTER LE RÉCIT

Est ensuite venu le temps de construire un « parcours moteur », qui nous permettrait de faire semblant de partir à la chasse à l’ours. Le matériel à disposition : des matelas, tapis, tables chaises, couvertures demandaient un peu d’imagination. L’idée était de symboliser chaque espace, en essayant d’y trouver une propriété similaire à l’élément réel (serviette humide pour la rivière, matelas un peu mou en simili cuir collant pour la boue, rouleaux à la verticale pour symboliser la forêt……). Cela a demandé de mettre en œuvre une organisation spatiale du récit, mais aussi à M de s’engager corporellement pour déplacer le matériel de façon adaptée, en fonction d’un but précis (et donc de s’organiser corporellement pour faire glisser, porter, pousser, tirer, ou coopérer en se déplaçant en arrière, sur le côté….. mais aussi repérer la place du matériel pour participer au rangement en fonction de ses capacités)

Nous avons donc pu :

  • Travailler les conduites motrices de base (ramper, sauter, courir, quatre pattes), imaginer comment mettre en œuvre son corps pour faire semblant de nager,
  • Verbaliser comment traverser les herbes folles en étant obligé de lever les jambes pour ne pas trébucher, se rééquilibrer sans cesse pour ne pas tomber en traversant le matelas boue, slalomer autour des arbres rouleau sans les faire tomber,
  • Varier les cadences entre le voyage aller ou nous faisons semblant de partir conquérants et le retour empressé où nous jouons à être effrayé ( et finalement aussi verbaliser autour de ce qui peut faire peur, ce qui est rassurant ).
photo témoignage médiation Chasse à l'Ours à l'INJA
Exercices de motricité avec “M” (petite garçon de 4 ans) autour de la Chasse à l’ours, à l’INJA.

 

TRAVAILLER SUR LES SENSATIONS

Nous avons pu imaginer un parcours sensoriel pieds nus, pour enrichir encore les expériences sensorielles et podotactiles. M motivé par le thème « chasse à l’ours »a pu s’engager avec plaisir dans l’activité, affronter ses réticence en effleurant seulement les matières piquantes désagréables, travaillant en même temps sur la prise d’appui unipodal et les stratégies de rééquilibration. Nous avons pu mettre en lien le toucher manuel et pédestre pour favoriser aussi le lien haut bas du corps.

FAIRE UNE MAQUETTE

Pour finir, nous sommes passés par la miniaturisation de notre parcours de Chasse à l ours, en utilisant du matériel miniature, pour varier les supports et représenter les notions de succession, ré-évoquer le vécu.

PARTAGER, INCLURE

Une fois M à l’aise avec les différents supports, nous avons invité d’autres enfants de la classe lors de notre séance pour que ce travail soit aussi vecteur de socialisation, de partage autour d’un patrimoine commun.
Cela a permis à M d être en situation de transmettre et d’apporter son savoir. Ces moments sont aussi vecteurs d’échanges sur les besoins spécifiques de M liés à la déficience visuelle.

Voilà quelques idées d’exploitations possibles autour d’un album tactile. De nombreuses pistes sont disponibles sur la toile, cet album étant largement exploité en maternelles. Avec d’autres enfants, l’exploitation a été différente, souvent moins poussée. Pour M, partir et revenir à l’album a été véritablement porteur, il a accepté de tenter des expériences nouvelles, tout en étant rassuré par un fil conducteur motivant. M grandissant, il n’est pas exclu que l’on puisse y revenir pour travailler d’autres domaines, autour du pré braille, du modelage, ou d’autres activités de motricité fines ou globales.”